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Observateurs internationaux et élections en République Démocratique du Congo

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Le 20 décembre 2023 les citoyens congolais ont voté pour désigner leur président ainsi que leurs représentants à l’Assemblée nationale, dans les assemblées provinciales, et dans les conseils municipaux.

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Observateurs internationaux et élections en République Démocratique du Congo

Le 20 décembre 2023 les citoyens congolais ont voté pour désigner leur président ainsi que leurs représentants à l’Assemblée nationale, dans les assemblées provinciales, et dans les conseils municipaux. Ces opérations de vote se sont poursuivies jusqu’au lendemain afin de permettre au plus grand nombre de voter, une décision prise par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) suite à d’importants retards dans l’ouverture de certains bureaux de vote, voire de la non-ouverture de certains d’entre eux la veille.

Comme pour les élections de 2006, 2011 et 2018, la préparation du scrutin de 2023 ne s’est pas déroulée aussi facilement que l’espéraient certains observateurs et activistes de la société civile et son déroulement lui-même est d’ores et déjà qualifié par certains comme étant le scrutin le plus « chaotique » qu’aurait connu le pays depuis la fin officielle des deux guerres du Congo.

En amont du scrutin, les observateurs occidentaux s’étaient interrogés sur la volonté et la capacité de la CENI à préparer et organiser correctement ces élections : la logistique n’était pas au rendez-vous et le caractère démocratique du processus électoral était d’ores et déjà contesté. Autant de critiques qui renvoient à une vision dominante selon laquelle, pour être légitimes, des élections devraient répondre à un certain nombre de normes relatives à leur organisation et à leur déroulement. Selon ces standards, pour être qualifiables de réussies, les élections devraient être libres, transparentes, pacifiques et compétitives (garantie démocratique) et produire un effet positif sur les pratiques politiques dans le sens de la bonne gouvernance et du respect de l’état de droit par les élites politiques (effets démocratiques). En dernière instance, ce serait l’analyse de l’adéquation du scrutin avec ces normes qui permettrait de déterminer si des élections (ou plutôt leur organisation) ont été démocratiques ou non.

Dans ce billet, nous soutenons qu’une telle perspective normative est plutôt réductrice pour comprendre le cas des élections en République Démocratique du Congo. Elle se fonde sur un impératif moral qui risque de passer à côté des véritables enjeux de ces élections et de leur contribution. Les dynamiques en jeu qui manquent d’être saisies par une approche normative sont celles qui convergent vers la demande congolaise, par le haut et par le bas, de faire du processus électoral une opportunité collective d’auto-signification ; c’est-à-dire un moment de définition collective par les Congolais du sens (et de la direction) de leur propre “processus démocratique”, porté par la revendication résolue d’être la voix dominante et légitime dans l’expression de ce processus. Les prochaines élections seront probablement les premières élections congolaises à ne pas être imposées ou guidées par des acteurs extérieurs. Dans cette perspective, la décision de l’Union Européenne (UE) d’annuler sa mission d’observation n’exprime pas seulement un sentiment de supériorité morale, elle est aussi contre-productive.

Lors des processus électoraux précédents, les acteurs internationaux ont joué un rôle de premier plan dans la définition des règles constitutionnelles du Congo d’après-guerre et dans la tenue des élections, principalement en exerçant des pressions sur le régime congolais et en fournissant les fonds nécessaires, mais conditionnés. En 2006, le Comité International de l’Accompagnement de la Transition (CIAT) a joué un rôle moteur dans l’organisation des premières élections suivant la fin officielle de la guerre. En 2011, la mission d’observation de l’UE a sanctionné les résultats des élections, malgré de multiples allégations de fraudes massives. En 2018, c’est sous la pression internationale que le président Joseph Kabila a finalement accepté d’organiser des élections et de ne pas se représenter pour un troisième mandat.

Aujourd’hui, ce rôle international est beaucoup moins visible et évident. Plus encore, pour la première fois depuis la fin officielle des guerres du Congo en 2003, des élections sont organisées sans qu’il y ait nécessairement eu besoin de pression internationale, de contrôle ou de financement de l’extérieur. Pour la première fois également, ces élections sont organisées par ceux qui, hier, étaient des figures de proue de l’opposition, des acteurs politiques relégués à la marge d’un système dont les règles ont largement été définies à travers des négociations internationales qui les avaient désavantagés.

N’ayant pas bénéficié de ces arrangements passés, les dirigeants politiques actuels sont moins prédisposés à se sentir redevables à des puissances extérieures que leurs prédécesseurs. L’actuel président, Félix Tshisekedi, est le fils de l’opposant historique Etienne Tshisekedi, ainsi que le chef de file de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), qui a longtemps été le principal parti d’opposition en RDC et qui, à de nombreuses reprises, a eu des raisons de se sentir trahi par des “soutiens” occidentaux, et en particulier par l’UE. En effet, malgré la pression internationale exercée sur le régime de Mobutu qui a contribué à l’ouverture du pays au multipartisme, les efforts de démocratisation émanant des Congolais eux-mêmes dans les années 1990 ont été largement compromis par le renouvellement du soutien international au régime de Mobutu après l’élection par une Conférence Nationale Souveraine (CNS) d’Etienne Tshisekedi en tant que Premier ministre d’un gouvernement de transition. Par la suite, lors des négociations de l’Accord Global et Inclusif de 2003 marquant officiellement la fin des deux guerres du Congo, l’UDPS s’est vue refuser la vice-présidence réservée à l’opposition non armée. En 2006, le parti d’opposition a été discrédité au niveau international pour avoir boycotté les élections. Finalement, lorsque l’UDPS a participé aux élections de 2011, la mission d’observation de l’UE de l’époque n’a pas reconnu les fraudes massives signalées. Elle a entériné les résultats proclamés au lieu de les contester, permettant ainsi à Kabila de rester au pouvoir et de marginaliser ses rivaux politiques. Ce n’est qu’en 2018 que les événements ont pris un tour favorable pour l’UDPS, suite à la conclusion d’un accord secret prévoyant la transmission du pouvoir de Kabila à Tshisekedi, en dépit des résultats de l’élection qui donnaient la majorité à un autre candidat à la présidence.

Il convient donc de s’interroger sur l’annulation de dernière minute de la mission d’observation de l’UE dans le cadre du processus électoral en cours, annoncée trois semaines avant le scrutin. Alors que l’UE avait hésité à accepter l’invitation de Kinshasa à déployer des observateurs à long terme dans le processus électoral congolais, il a finalement été avancé que des “contraintes techniques” ne permettaient plus d’accepter l’offre de Kinshasa.

Cette décision de l’UE conforte un regard condescendant sur les élections à venir et passe à côté de leurs véritables enjeux. En effet, ces élections sont un moment d’autosignification de l’État par les citoyens congolais, ainsi qu’un moment privilégié de construction de la légitimité politique populaire par les élites politiques. La campagne électorale en cours à travers tout le pays permet de voir comment les dirigeants politiques sont appréciés, comment leurs discours sont liés aux priorités de développement, et comment les citoyens congolais se positionnent face à ces discours et à la conduite des personnes précédemment élues.

En refusant d’observer ces élections après s’être engagée à le faire, l’UE signifie indirectement qu’elle revendique le monopole de la définition de la démocratie électorale, et ce, alors même que la compatibilité de cette orthodoxie démocratique proclamée avec les réalités postcoloniales est déjà remise en question par des événements et des discours récents sur le continent africain. L’UE manque enfin une opportunité de comprendre comment les continuités et les discontinuités se développent dans la société congolaise et comment elles produisent l’élan qui déterminera la dynamique politique des cinq prochaines années. Si bien que le contresens de cette décision, autant dans ses prémisses que dans ses effets, nous interroge : en réalité, quelles attentes projetons-nous sur les processus électoraux dans le monde à partir de notre propre orthodoxie démocratique ?

 

Alice Grégoire est doctorante au Conflict Research Group (Université de Gand) financée par le FWO, Koen Vlassenroot est professeur titulaire au Conflict Research Group (Université de Gand) et Aymar Nyenyezi est chargé de cours à l’Université de Mons.

 

An English version of this article can be found on the ISPI website, the Italian Institute for International Political Studies.

 


(Photo credit: MONUSCO / Myriam Asmani)